Catherine Vandel est une militante du 14ème arrondissement de Paris. Elle a 15 ans dans les années 1960 et adhère à l’UJFF et au PCF. Elle faisait ses études dans un des premiers lycées mixtes. Elle a ensuite adhéré à l’UEC. Elle se souvient avec plaisir des réunions enfumées de Clarté… Pour elle, la création de l’UJFF en 1936 a été la preuve d’un progressisme sans précédent, une réelle avant-garde.
Andrée Lefrère est née avant la seconde guerre mondiale dans une famille juive. Elle a eu alors une grande volonté de comprendre le pourquoi de ces horreurs. Cette volonté de comprendre s’est ensuite transformée en colère qui lui a donné une motivation sans faille. Elle voulait une revanche, elle l’a eue par son engagement. Sa vie est pleine de ce contexte historique. Elle a acquis l’envie de justice, d’égalité.
Que pensez- vous de nos trois décisions de Congrès quant à la suppression de la notion de parité, la suppression de la féminisation des textes et la création d’une commission sur le féminisme ?
Catherine : Sur la question de la parité, je suis partagée. Sur le fond ce n’est pas satisfaisant. Mais je comprends pourquoi cela s’est mis en place, pour impulser certaines pratiques. En cela, c’était important. Je ne suis pas pour la féminisation des textes, sauf si certains mots s’imposent dans le système de la langue comme devant devenir féminin à leur tour. Mais la question est valable du côté masculin également. Aujourd’hui il serait bon de masculiniser certains métiers, l’exemple d’un homme qui exerce le métier de sage- femme est le plus marquant. C’est aussi une avancée du statut de la femme ! Pour la féminisation des mots, j’appliquerais le même principe.
Andrée : Je ne pense pas non plus que le problème linguistique soit le plus important. Je n’ai pas fait de hautes études, donc les mots, moi, ça ne m’a jamais beaucoup importé. C’est là où l’organisation communiste doit préserver ce rôle fort qu’elle avait de pallier le manque d’éducation scolaire individuelle par un travail collectif. L’organisation communiste, que ce soit le Parti, la JC, l’UJFF ou l’UEC ont toujours été des écoles d’éducation populaire. Le monde ouvrier doit s’organiser collectivement pour pallier au manque de formation. J’ai fait de la couture, et ce n’était pas vraiment un choix, parce qu’à cette époque, les familles se disaient : « ça pourra toujours servir ». Mais il n’y a pas de sous-métiers, la couture nécessite de la technique, comme tout autre métier. Le monde des filles étaient divisé en deux catégories : les intellectuelles et celles qui allaient au lycée technique ou commercial. Quant à la création de la commission féminisme, c’est un grand pas. Ce sera le moyen de trouver des façons spécifiques de toucher les jeunes filles, surtout dans les milieux populaires où l’accès est plus difficile.
Quelle est ton histoire Andrée ?
A 12 ans, j’ai adhéré aux vaillants, on campait et s’amusait beaucoup. Mais à notre époque, les jeunes avaient déjà compris des choses de la vie. Après la Libération, on avait le sentiment que rien n’était impossible, on ne doutait de rien, c’était une véritable période de rêverie qui a duré un certain temps. On pensait que tout irait bien après ça. Tout cet espoir se reposait sur le PCF. Tout le monde faisait confiance au Parti, pas que les communistes. Je me souviens d’avoir récolté 4000 signatures en 1949, à 14 ans, pour l’Appel de Stockholm.
A 15 ans, en 1950, j’adhère à l’UJFF. Je voulais y adhérer après mes études, comme pour marquer une étape importante.
Pourquoi l’UJFF ?
Des vaillants, j’aurais pu devenir monitrice, mais je n’en voulais rien. J’avais la conscience que des jeunes de mon âge avaient donné leur vie pour leurs convictions, pour leur pays. Je voulais être de ceux là. Je voulais donner ma vie à l’engagement politique. Je m’engage alors à l’UJFF.
Qu’est ce que tu retiens de l’UJFF, à partir de sa création et par ton engagement ?
En 1936, Danielle Casanova crée l’UJFF. A cette époque, les femmes étaient très présentes dans les luttes, dans les mouvements, mais elles n’étaient pas du tout organisées dans des partis ou des syndicats. Elles ne participaient jamais aux réunions et n’avaient pas de responsabilités. Alors Danielle Casanova décide de réunir les quelques filles qui étaient organisées et crée l’UJFF. C’était une femme exceptionnelle, elle est le cœur de cette histoire.
Les hommes de l’époque étaient très machistes. Ils ne prenaient pas les femmes en tant que telles au sérieux. Mais ceci n’a pas empêché un travail politique commun. C’était davantage dans le comportement qu’il y avait des problèmes. La lutte politique savait être menée à bien dans l’unité malgré cela. Et puis, il y avait les bals pour se retrouver !
En 1936, c’est la guerre d’Espagne. Les femmes sont enfin organisées. Elles organisent la solidarité pour les enfants espagnols. Elles défendaient la paix avec ferveur.
En 1938, elles font un pari fou. Elles veulent remplir le Stade Buffalo de 20 000 places. Les hommes leur disent que c’est impossible, mais elles réussissent leur pari. A cet instant, tout le monde a compris qu’il se passait vraiment quelque chose d’important, de déterminant. Ça a donné beaucoup d’espoir.
En 1938, l’UJFF avait 19 000 adhérentes. Leur adhésion a permis plus tard de relancer la Résistance. Elles ont joué un rôle fondamental.
Les militantes de l’UJFF faisaient beaucoup de sport, elles s’intéressaient beaucoup à l’esthétique, à la mode, elles voulaient être de jolies filles !
En 1958, j’ai impulsé un évènement considérable. La Rentrée de Mademoiselle de Paris ! C’était en octobre et ça durait trois jours. La première année, 3000 personnes sont venues ! Le principe de cette initiative était de demander à toutes les filles de créer quelque chose, de se mettre en valeur de la façon qu’elles voulaient. Certaines peignaient sur des galets, fabriquaient des robes, créaient des expositions de photos etc. Les filles n’étaient pas très bien reconnues pour leurs qualités, y compris au sein du mouvement communiste, et je voulais qu’elles se mettent en valeur par ce qu’elles savaient faire. On voulait montrer qu’on était capables, dans tous les domaines. Il y avait des écrivains qui signaient leurs livres, des groupes qui venaient chanter. Ce fut un franc succès qui a duré plusieurs années.
Les femmes ont l’intelligence de toujours des initiatives qui correspondent à leur caractère et qui peuvent toucher toutes les femmes. Elles sont vives et curieuses. L’UJFF était respectée, bien après la guerre, on avait invité Aragon et Elsa Triolet à venir féliciter les filles de la réussite de leur examen. D’ailleurs, Aragon a rendu hommage à l’UJFF dans les Communistes. Nous étions implantées dans tous les lycées de Paris ! L’UJFF a été capable d’être créative et de s’imprégner de ce que voulaient les femmes. Et pourtant, nous n’avions pas de médias. Les jeunes ouvrières ne faisaient pas défaut mais elles étaient difficiles à organiser en raison d’horaires de travail très rudes.
L’UJFF a toujours été très engagée pour la paix et dans le social. Elle a mené de grandes batailles pour la salubrité et la construction des logements sociaux, ainsi que pour l’amélioration des conditions de travail. Il y a eu quelque succès des filles du textile et de la métallurgie. On était très aidées par les intellectuels : Joliot-Curie, Picasso, Aragon, Jean Eiffel etc. Ils voulaient tous nous aider, nous écrire des chansons. Ils nous donnaient souvent de l’argent pour payer les permanents.
Nos réunions sont de grands souvenirs. Elles s’éternisaient jusque dans la nuit, mais plus elles étaient longues, plus elles étaient bonnes ! C’était dur mais on s’amusait. C’était dur d’être ouvrière et militante. J’ai tenu trois mois dans la métallurgie. Avec des réunions aussi prenantes et un travail aussi dur, la conciliation était difficile. Après 1968, c’était plus simple. On se réunissait aussi sur les lieux de travail, on était plus implantées sur les lieux de travail.
1973 marque la fin de l’UJFF. Il est vrai que plus on s’éloigne des guerres, après les années 60, moins il y a d’adhérentes. De plus, il y avait un conflit naissant entre les lycéennes et les jeunes travailleuses. Les lycéennes, qui étaient de plus en plus des intellectuelles, trouvaient les jeunes travailleuses un peu futiles, elles trouvaient étranges ces jeunes filles qui s’intéressaient à la mode. Ça devenait de plus en plus intellectuel. On délaissait les milieux populaires sans doute à cause de la diminution du nombre de nos adhérents. Il y a alors eu une coupure. D’autre part, il faut noter un franc succès de nos revendications. La mixité était instaurée. Les différentes organisations communistes de jeunesses ont fusionné. Les femmes s’intégraient dans la société de plus en plus. C’était ce que nous voulions. C’était le résultat de nos luttes.
Que penses- tu de la situation de la situation des femmes d’aujourd’hui ?
Aujourd’hui, il y a une régression de la condition des femmes, surtout dans les banlieues. La grande question c’est comment les rassembler ! L’UJFF a été un mouvement unitaire, elles étaient les jeunes filles de France, c’était très ouvert malgré tout. On était à l’avant-garde. Alors aujourd’hui qu’est-ce que le féminisme ? Je n’en sais rien, mais ce n’est surtout pas à assimiler aux chiennes de garde ! Mais on a besoin de se revendiquer féministe, c’est important.
C’est quoi, pour toi, être communiste ?
L’important, c’est de faire les choses en y croyant vraiment. Sinon le mouvement meurt. Il faut toujours être en lien avec la réalité, avec la société, ne jamais perdre de vue ses attentes. Il ne faut pas un mouvement artificiel. Être communiste, ce n’est pas le crier à la terre entière, c’est être à l’écoute, c’est être en capacité de faire bouger les gens, de leur donner des perspectives d’avenir pour qu’ils prennent leur vie en main.